Ces derniers temps, « acheter local » semble la réponse à tous les maux. Est-ce un éco-geste efficace?
Tout d’abord, précisons que local ne veut pas dire français, local veut dire produit à moins de 250 km de notre domicile, voire moins de 150 km pour les locavores particulièrement zélés. Le concept original, lancé en 2005, était « dans un rayon de 100 miles autour de San Francisco » soit 160 km à vol d’oiseau. Bon, j’ai été sympa, j’ai arrondi à 200 km.
Première remarque: pas de poisson pour les lyonnais! Et pour les parisiens, pas de fromages à pate pressée cuite (type Emmental, Conté), ce sont des fromages de montagne. Quand à nos amis réunionnais, 80% de la surface agricole de l’ile étant consacrée à la canne à sucre, acheter local ne va pas être le festival qu’on pourrait s’imaginer depuis la métropole… Et oui, on veut sauver la planète ou on ne veut pas.
Mais sommes-nous bien sûrs que ces sacrifices sont utiles?
Acheter en direct du producteur?
« Manger local » est souvent interprété comme « acheter en direct au producteur ». Si j’achète en direct plutôt qu’au supermarché, quel sera l’impact sur le climat?
Un jour, je reçu un mail d’un groupement d’achat auquel j’appartenais alors, me proposant d’acheter des abricots d’un département voisin.
J’en commandais 5 kilos, les abricots ne se conservant pas très longtemps. Le producteur fit 100 km aller-retour en camionnette pour livrer 100 kg d’abricots à notre petit groupe d’amis et je fis 20 km aller-retour pour aller les chercher. En matière de distance, nous avons donc été plus que raisonnable.
D’après la base de données FoodGES de l’Ademe, le bilan carbone du kilo d’abricot est de 1,88 kg eq CO2/ kg de produit (1).
Comparons ce bilan a celui d’un consommateur planéticide, qui achète des abricots espagnols au supermarché ……. (suspense) …….
0,5 kg de CO2.
C’est 4 fois moins !!!!
100 km d’un coté, 1300 km de l’autre, et vous allez me dire qu’on dépense moins de carburant?
Et bien la réponse est oui pour deux raisons:
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– la première est que le petit camion transporte 100 kg d’abricots avec retour à vide contre 40 tonnes pour le gros et il transporte une autre cargaison au retour.
– la deuxième est que j’ai fait un trajet spécifique.
Cet exemple n’a rien d’extrême: le petit producteur n’avait fait que 50 km aller simple alors qu’il peut en faire jusqu’à 200 tout en restant « local ». Et je n’avais fait que 10 km.
Vendre en direct permet au producteur d’augmenter sa marge et les produits sont généralement de meilleure qualité que dans la grande distribution. En effet, les fruits et légumes espagnols destinés à l’exportation sont de variétés sélectionnées pour le rendement et la résistance au transport. « Acheter en direct » est donc un geste social, un geste plaisir, mais pas un éco-geste.
Acheter français?
Pour être efficace contre le réchauffement climatique, « acheter local » doit-il être interprété comme « acheter français » ?
Et devons-nous arrêter de manger des bananes, des ananas, des mangues?
Pour ce qui est des fruits et légumes espagnols, la différence est minime. Certes leur bilan carbone est deux fois plus élevé que leur équivalent français mais quand on pense que la production d’un kilo de boeuf émet 36 kilos de GES, les 200g de différence semblent dérisoire.
Pour les fruits exotiques, tout dépend du mode de transport. La plupart des fruits exotiques qu’on trouve en Europe (bananes, avocats, mangues, kiwi, litchi etc.) sont climatériques, c’est à dire qu’ils continuent à murir après avoir été récoltés. On peut donc les cueillir pas tout à fait mûrs et les expédier par bateau, ils muriront dans les cales.
Tout change si le fruit a été importé par avion, comme dans le cas de l’ananas et des mangues. En effet, l’ananas n’est pas climatérique: dès qu’on le cueille, il commence à perdre de sa saveur. Coupé pas tout à fait mûr et expédié par bateau, il est beaucoup moins bon que celui expédié par avion. La différence n’est pas aussi nette pour les mangues, qui sont légèrement acides si importées par bateau. Elles sont aussi bonnes, tout dépend si on aime l’acidité. C’est question de préférence personnelle.
Dans le cas de fruits importés par avion , les émissions de GES sont massives:
Conclusion
« Acheter local » n’est pas un éco-geste efficace car inutilement contraignant.
D’un point de vue environnemental, on peut acheter tout fruit ou légume français voire européen et même des fruits exotiques importés par bateau.
Par contre éviter:
les fruits et légumes importés par avion
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les achats en direct si vous devez faire un trajet spécifique
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Notes
(1) Calcul des emissions de GES pour les abricots achetés en direct
Production des abricots: 0,3 kg eq CO2/ kg de produit
Transport de 100 kg d’abricots sur 50 km, en camionnette, avec retour à vide : 0,547 kg eq CO2/ km (camionnette) x 100 km/ 100 kg abricots = 0,547 kg eq CO2/ kg produit
Mon trajet sur 20 km (aller retour) : 0,259 kg eq CO2/ km x 20 km / 5 kg d’abricots = 1,03 kg eq CO2/ kg produit
Source: bases de données FoodGES et Base Carbone, de l’Ademe
Merci pour cet article, je suis fan de cette démarche basée sur les chiffres et je trouve ça passionnant ! J’avais déjà lu cet histoire d’abricots dans un autre article du site, et je l’ai sortie dans plusieurs conversation.
Merci pour le commentaire! Cet article est une refonte du précédent, mais j’ai retravaillé la forme (transformé les tableaux en graphiques, ajouté des illustrations du texte et pas juste de jolies photos) et ajouté quelques détails…
toujours très clair et convaincant ! merci Anne